LA FORÊT SACRÉE DE LA SAINTE-BAUME

Publié le 11 Septembre 2010

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La forêt qui s’étend au pied du massif de la Sainte-Baume a conservé son caractère vénérable. Ses 140 hectares n’ont certes pas échappé au tourisme de masse, mais les autorités locales ont su limiter les déprédations dont celui-ci pourrait être la cause directe. Lucain, le poète latin, y voyait un espace dont les dieux se réservaient l’exclusivité et où il ne faisait pas bon pénétrer Les Ligures considéraient l’endroit comme domaine éminemment sacré, et l’interdiction de toute coupe d’arbres qu’ils décrétèrent fut confirmée au cours des siècles par des édits royaux. On sait également que le pape Boniface VIII menaça en son temps tout contrevenant d’excommunication, ce qui va une fois de plus dans le sens de l’extrême sacralité de ces lieux. Si la chrétienté n’a pas toujours entretenu des rapports très cordiaux avec la sylve et ses esprits que les campagnes persistaient à honorer, elle a vu en effet dans l’ancienne forêt des Ligures un sanctuaire incontournable qu’elle se devait de marquer à son sceau.

On peut tout d’abord expliquer ce durable souci de préservation par la singularité du paysage que présente la Sainte-Baume. C’est que la variété des espèces qu’elle abrite ne devrait pas biologiquement parlant se trouver sous le climat et la latitude de la Provence. Des tilleuls et des hêtres aux dimensions peu communes, l’érable, l’if, le lierre et le houx à profusion, sont ici une singulière intrusion . Sans doute leur présence a-t-elle été facilitée par sa situation sur le flanc nord d’un massif au réseau hydrographique et à la pluviométrie plus importante qu’ailleurs. Une sorte de microclimat, relique d’une ultime avancée glaciaire vers la mer.

FATAL BAISER DE PAIX

Il est bien difficile, une fois rejoint un des multiples parkings qui s’étalent autour de l’Hôtellerie et du musée, de trouver une atmosphère propice à l’éveil des sens. D’autant qu’emprunter le chemin principal qui mène à la Grotte n’est pas fait pour favoriser toute tentative de recueillement. On se trouve d’abord sur un chemin continûment fermé par des barrières en branchages que des gardes parcourent à cheval. Ceux-ci sont garants de ces édits royaux dont on continue à honorer les prescriptions…

Il n’est pas toutefois interdit de dévier de ce circuit en empruntant une des discrètes sentes qui s’enfoncent dans les profondeurs de la forêt. On y rencontrera par exemple, sous d’humides ombrages conservant la mémoire de l’eau longtemps après les périodes pluviales, la petite source de Ravel. Ce filet étroit tourbillonne autour d’exubérances moussues. Plus loin, placardée sur un monolithe, nous apparaît une plaque en l’honneur du Dr Joseph Poucel, "chantre de la Provence et de saint François". Il est effectivement l’auteur d’un ouvrage qui fit référence en matière d’orchidées, dont la Sylve sacrée recèle quelques remarquables et très rares spécimens.

Il est possible ensuite d’attaquer l’ascension de la montagne par sa face nord (pour les mordus d’escalade exclusivement), ou de la contourner par un itinéraire plus courtois, pour gagner un des sommets principaux du massif dénommé pic Saint-Cassien. Cassien est un personnage singulier sur lequel il faut s’arrêter.

Le Dictionnaire d’histoire et de géographie ecclésiastiques comporte 16 articles à propos de Cassien. Celui qui semble avoir vécu dans la région est le seul qui ne soit pas présenté comme saint ou martyr, mais l’on sait qu’après sa mort il fut vénéré comme saint. Sa fête est célébrée dans le diocèse de Marseille le 23 juillet. Son sarcophage se trouverait profondément enfoui sous l’abbaye de Saint-Victor. Né en Scitie mineure aux alentours de 360, Jean Cassien voyagera en Palestine, en Egypte, à Constantinople et à Rome avant de se fixer à Marseille vers 415 où il est ordonné prêtre. Il fonde les monastères de Saint-Victor – aujourd’hui le plus vieil établissement de Marseille – et de Saint-Sauveur. Dès son arrivée en Provence, l’écrivain constate à quel point le pays est dépourvu d’ermites. C’est alors qu’il va s’attacher à introduire et adapter ici les " usages cénobitiques " tels qu’il les a vécus en Egypte. Les grottes du massif de la Sainte-Baume retrouveront une activité qu’elles n’avaient plus connue depuis que Marie-Madeleine, sentant sa mort venir, avait quitté l’endroit pour descendre se confesser à l’évêque de Saint-Maximin et trépasser. Dans son livre Bourlinguer, Blaise Cendrars évoque cet écrivain ecclésiastique spécialisé dans la vie anachorétique. Mais dans une note, il préfère le faire naître à Marseille. L’important est cette " théologie ascétique et mystique " qui est au centre de son œuvre. Dans la préface à ses Institutiones, on note que Cassien se compare à Hiram, le grand architecte à qui Salomon fit appel pour construire son temple, alors qu’il a été mandé lui-même par l’évêque Castor d’Apt. Hiram, roi de Tyr et de Sidon, fut pressenti pour construire un temple à Yahvé, tâche dont il s’acquitta avec succès et rapportée dans le Premier Livre des Rois. Pour fondre les colonnes du temple, Hiram se fit aider par Jacques, natif de Provence, de qui allait naître la longue lignée du compagnonnage. A son retour de Jérusalem, Maître Jacques aurait trouvé refuge dans la grotte même de Marie-Madeleine. C’est là qu’il se pensait à l’abri des disciples fanatisés de son ancien compagnon Soubise. Mais c’est par un des siens qu’il fut trahi. Son Judas, un nommé Jéron, donna à son maître un fatal baiser de paix, à la suite duquel ce dernier fut assailli à coups de stylet par les partisans de Soubise embusqués. La grotte n’aura pas été pour lui une retraite sûre. Elle n’en continue pas moins d’être honorée par les Compagnons alors qu’ils effectuent leur tour de France.

LES LARMES DE MARIE-MADELEINE

Du haut du pic Saint-Cassien, la couverture forestière se livre, avec une trompeuse uniformité. Sa verdeur, sa grande santé sont aussi une injure à la pauvre garrigue environnante. Les toitures de l’Aups et de Saint-Maximin noyées dans la riche verdure, les silhouettes des monts Garlaban, Olympe et Aurélien complètent ce tableau d’une touche subtile que, par beau temps, la lumière dilue dans les tremblotements.

En cheminant sur les crêtes en direction de la chapelle, on découvre la dizaine de kilomètres sur laquelle s’étend le massif. Sa course magistrale se heurte momentanément à un pylône disgracieux et à un dôme blanc, peu esthétique, surmontant le pic de Bartagne.

La chapelle, bâtiment sans réel intérêt, est jouxtée d’une table d’orientation assaillie par les randonneurs et les pèlerins. En contrebas, enchâssé dans le calcaire, les bâtiments de l’ermitage sont visibles. Ils marquent aussi l’entrée de la Sainte Grotte.

Il y a près de deux mille ans, ployant sous le poids de douze années de vie dissolue, Marie-Madeleine montait depuis la vallée d’Aupt dans le dessein de s’imposer les pénitences les plus rudes. Cette solitude totale allait lui être offerte par une grotte creusée dans la montagne. Elle y demeurera 33 années en prière, autant que vécut le Christ. Que la sainte ait réellement débarqué aux Sainte-Marie-de-la-Mer (avec son frère Lazare, sa sœur Marthe et une foule de saints), pour prendre ensuite le chemin de la Sainte-Baume guidée par une inspiration divine, importe peu en vérité. L’essentiel est que la chrétienté ait pu dispenser à sa communauté des sanctuaires privilégiés pour invoquer la Vierge, Dieu et les saints martyrs. A partir du Vème siècle, date à laquelle les moines s’installent à proximité de la grotte, les pèlerins viennent nombreux. Le lieu de culte est officialisé. On dit que de sa voûte tombent les larmes de Marie-Madeleine. Ce sont ces mêmes larmes qui coulèrent lors de la Passion et de la mort du Christ à laquelle la sainte assista et qui se perpétueraient encore aujourd’hui…

AMOUR ET ESPÉRANCE

Une lecture de Pétrarque, s’adressant à la sainte, peut amplement pourvoir à un défaut de visite de toute façon aménagée pour la mass touristica à qui l’on ne montrera que ce que l’on voudra bien montrer : "Cet antre unique où les rochers ruissellent sans cesse et dont l’obscurité est effrayante, vous a servi de demeure et l’emportait pour vous sur les palais dorés des rois, sur toutes les délices et sur de riches campagnes. Dans cette grotte, où vous vous êtes volontairement enfermée, couverte seulement de vos longs cheveux, qui étaient votre unique vêtement, vous avez passé trente hivers sans être rebutée par le froid ni ébranlée par la crainte ; car l’amour et l’espérance profondément gravée au fond de votre cœur vous faisait chérir le froid, la faim, et même le dur rocher qui vous servait de couche. Là, inaccessible à la vue des hommes, accompagnée des légions d’anges, soulevée de terre chaque jour pendant sept heures, vous avez été jugée digne d’échapper à votre prison corporelle et d’entendre les chants alternatifs des chœurs célestes. "

BONNET PHRYGIEN

Avant de recevoir le nom de Sainte-Baume, le massif était connu comme Le Gargare. Garganos, héros celte bon vivant dont Rabelais s’inspira librement, a prêté son nom à bien des sommets de nos contrées, de la Normandie à l’Italie du Sud. Outre sa richesse relictuelle, un massif aussi prestigieux que celui-ci – dans le prolongement duquel la Grande Tête, notons-le, culmine à 666 mètres, le chiffre de la Bête ! – ne pouvait pas laisser là aussi l’Eglise indifférente. Ses émissaires vinrent tailler 150 marches dans les côtes du géant Garganos, condamnant par la même occasion toute tentative de perpétuation de rites païens dont on doit souligner que les plus considérables furent tournés en direction de Mithra. Ce qui nous mène droit à Joseph d’Arimathie, qui fut représenté communément coiffé du bonnet phrygien, celui-là même dont se paraient les initiés lors de la célébration des Mystères de Mithra, le dieu né dans une grotte et dont la popularité obligea le Christ, son concurrent direct, à voir le jour dans une étable. Il s’est dit que Joseph d’Arimathie avait ébordé les côtes de Provence muni du calice précieux, le vaissel, ayant recueilli le sang du Christ durant son agonie. Ainsi aurait-il confié la précieuse relique à Marie-Madeleine. Mais d’autres hypothèses ont été émises à propos de l’itinéraire de Joseph une fois qu’il eût débarqué sur les rivages de la Gaulle. N’aurait-il pas orienté sa Mission du côté des contreforts pyrénéens, ou vers l’Angleterre de Glastonbury ? Ici comme partout, les pistes se brouillent et le temps finit par produire son œuvre destructrice.

Rédigé par brachium templarii

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